Monique Luyton, ou les racines du rêve

Par Christian Noorbergen

En leur peau souterraine, en regard stupéfié de ne pouvoir atteindre les hauteurs, s’immobilisent les personnages fascinants de Monique Luyton. Hagards, précieux, sans défense, enracinés dans la matière profonde des sous-bois enfouis de l’être, où vit le petit peuple oublié des mondes sommaires, ils sont nos doubles lointains, nos immobiles frères d’âme. Secrète alchimie d’art et de nature.

Ils rêvent sans cesse du corps impossible qui unirait enfin les sources à l’univers, pour que la chair puisse faire corps d’humanité. Ils n’ont pas d’épaisseur charnelle, à peine un corps durci par le temps. Ils n’ont pas de ciel, vers quoi cependant, rarement, ils tendent, inarrachables à leur terre d’origine. Petits Prométhée dépouillés et tendres, la modernité sans âme les a fait mourir. Ils s’abandonnent à l’absence des gestes, et leur silence épuise sans fin nos paroles, quand même ils savent puiser l’énergie des profondeurs.

Monique Luyton, magicienne d’outre-vie, leur redonne la vie, inaccomplie et discrète, cachée et retenue, mais vie tout de même, et de très archaïque mémoire, envoutée, dure et dense, et qui embarquerait tout l’éphémère de nos fantasmes.

Ils sont les presque cadavres de nos boursoufflures, les squelettes inépuisables de nos espérances. Débarrassés de toute émotion de surface, échappés de la préhistoire de l’être, ils sont les témoins précaires de nos plus vives clartés. Nos repères de fragilité.

Ces ultimes résistants ont tout perdu, sauf eux-mêmes. Ils n’ont plus rien à perdre, sinon leur âme, enclose en des corps inouïs et durables. Eperdus sans frondaisons, effrayés d’exister, ils sont sidérants de lointaine et d’immobile présence. Fabuleux acteurs en arrêt, modestes, graves et nus, mimant la crise éternisée d’une existence brulée.

Monique Luyton, la très singulière, ignore la couleur. La séduction chromatique n’a pour elle aucune valeur ajoutée. Elle dédaigne toute fioriture, tout faux-semblant, quand l’art des marges, faute d’ascèse élevée, succombe parfois aux surcharges de l’outrance, de l’emphase, et des transgressions attendues.

Elle semble avoir pris la création en cours de route, comme si elle dégageait ses créatures d’une gangue qui les laisserait là, juste à portée de vie. En renaissance. Dans les racines du grand rêve.